Le pouvoir caché des cafés

23 novembre 2022by Lucas Perriat0
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En France, plus de 7 millions de personnes souffrent d’isolement social. Ce chiffre, déjà énorme, est en constante augmentation. Dans des villes comme Châlons-en-Champagne, préfecture de la Marne, c’est près d’une personne sur quatre qui souffrirait de solitude non désirée. Un chiffre qui, au vu de la population vieillissante, risque de croître. La solitude non désirée, qui mène à des situations d’isolement social, est caractérisée par la disparition de tous les cercles de relations qu’ils soient amicaux, familiaux, ou issus du travail, du voisinage ou du monde associatif. La personne, n’ayant plus d’interaction social, finit par disparaître de l’espace publique.

Depuis quelques années des politiques, analystes et journalistes estiment que la démocratie est malade. Selon le baromètre de Sciences Po (Cevipof), les français sont seulement 15 % a déclaré avoir confiance dans leurs politiques, témoignage d’un système qui va au plus mal. Des évènements, comme les manifestations Gilets Jaunes, sont venus souligner la déconnexion des élites et la fracture sociale. C’est la thèse de l’archipelisation de la France de Jérôme Fourquet.  Pour tenter de remédier à cela, la solution se trouverait dans une démocratie plus participative et délibérative. La mode au développement de concertations ou autre commissions délibératives. L’exemple le plus frappant reste les « rencontres de quartiers » conçues pour être des moments favorisant le « contact, la proximité, le lien social et le dialogue », si l’on en croit la mairie de Verrières-en-Anjou. Tapez dans la barre de recherche de votre téléphone « rencontres de quartiers » et vous pourrez constater le nombre de villes qui proposent cette méthode. Si cela part évidemment d’une bonne volonté de la part de nos politiques, c’est révélateur de la naïveté dont fait preuve notre société pour tenter de réparer un système fracturé. Ainsi, on croit pouvoir déposer un pansement législatif et artificiel sur la plaie béante qu’est la perte de cohésion sociale, conséquence de la perte du capital moral français.

Un politique ne devrait pas avoir besoin d’un rendez-vous pour savoir ce qui ne va pas dans sa ville. Le voisinage devrait être solidaire sans qu’une administration ait à installer des « givebox » (boîte à dons). Les personnes âgées devraient être respectées pour leur savoir et non pas traitées comme des fardeaux, parquées dans des Ehpad. 10% de la population ne devrait pas vivre sous antidépresseurs. Enfin, 36% des étudiants français ne devraient pas avoir des idées suicidaires, alors qu’ils sont censés être dans les meilleures années de leur vie !

La distance qui se crée entre les générations est abyssale, et s’il est évident que sortir 7 millions de personnes de l’isolement est impossible, il faut impérativement sauver puis faire perdurer les derniers lieux de refuge qui permettent de créer le lien social et multigénérationnel.  Il faut donc impérativement sauver les petits bar-café. Les débits de boisson de nos villes, quartiers et villages.

En effet, le meilleur des refuges a été, durant longtemps, le café. Le café, tel qu’on le connaît aujourd’hui, s’est développé dès le XVIIe siècle en Europe. Il est dès sa création conçu comme un lieu de partage, de rencontre, ouvert à tous sans distinction de classes sociales, contrairement aux clubs et salons privés de la noblesse et de la bourgeoisie européenne. Ces lieux de proximité ont parfois été qualifiés de « deuxième maison », notamment à partir du XVIIIe siècle, qui voit la fréquentation de ces lieux multipliée. Les cafés ont été des lieux qui ont favorisé l’émulsion intellectuelle de la bourgeoisie et qui ont aussi servi de repère aux ouvriers durant la Révolution industrielle. Si l’on en croit Honoré de Balzac : « Le comptoir d’un café est le parlement du peuple. ». Cette phrase retranscrit bien le fait que l’on pouvait s’exprimer sur tous les sujets : politique, travail, famille… Dans un café vous créez des amitiés réelles, et vous n’êtes pas anonyme, tout le monde vous connaît. Ils étaient les réseaux sociaux de l’époque mais sans les dangers que la virtualité confère.

En effet, comment harceler ou cracher son venin quand tout le monde vous connaît et que vos propos seront signés par votre visage ? Comment idéaliser l’autre lorsqu’on le voit au quotidien ? Comment oublier toutes notions de décence lorsqu’un des critères pour entrer dans un café était la tenue ?

Pour connaître une ville dans laquelle vous n’êtes jamais allés aujourd’hui, que ferez-vous ? Taper sur Google, regarder la page internet de la ville, les photos et les avis déposés par des inconnus ?

Et si la meilleure des solutions serait de se trouver dans un café ? Quelques questions au patron et aux clients, quelques minutes d’observation et vous aurez découvert bien plus de choses et vraies informations. Ce sont les conseils d’Alex, patron du Café de la Place aux Chevaux.

Alex, patron d’un des 38 000 débits de boissons, restant sur les 500 000 qui existaient au début du XXe siècle (Insee). Patron d’un des rares cafés restant un lieu de partage ; savant mélange de personnes de catégories socio-professionnelles différentes, d’âges différents, de petites habitudes et de grandes conversations. Alex tient son café seul, mais est presque toujours entouré. Bien loin des terrasses de centre-ville où les serveurs sont là pour 1 mois, où les prix sont exorbitants, et le sourire souvent en option, vous y trouverez un homme avec un vécu passionnant, des bonjours dynamiques et des opinions bien tranchées. Le Café de la Place aux Chevaux n’est pas « instagrammable » mais c’est pourtant une expérience à lui tout seul.

La présence des journaux locaux permet de discuter de la vie châlonnaise ou nationale. La discussion franche permet d’élargir son horizon et de tisser des amitiés à travers les rires et les épreuves. Le café devient un petit refuge dans le quotidien ou un point d’ancrage quand on revient de loin. Grâce au café d’Alex, et de tant d’autres, ce sont de vrais réseaux qui se mettent en place, des réseaux solidaires évidemment, mais aussi professionnels et culturels. Ces lieux ont été et restent des points névralgiques de villes et de centaines de personnes. Mais peu à peu, les habitudes changent et cette culture se perd. Dans notre société liquide, en connaître un est un privilège, mais pour encore combien de temps ?

Eloyse Gain

Lucas Perriat

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